Des rues de Bamako au parlement Bruxellois en passant par le militantisme à travers l’association « Ni Pute Ni Soumises ». Femmes plurielle, Fatoumata Sidibe est militante, journaliste, politique, artiste peintre, actrice, et écrivaine. Le droit à l’égalité est fondamental pour elle.
Sa devise, « qui n’avance pas recule. »
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire ce livre ?
C’est La vie. J’ai toujours eu envie de m’exprimer de différentes manières. Ce livre est venu tout naturellement. J’avais un parcours à témoigner. Ce n’est pas un livre autobiographique mais il évoque certains parcours de ma vie. Ce qui fait que je suis devenue ce que je suis et comment je le suis devenue. Mon parcours comme celui de beaucoup de femmes est unique. J’avais envie de voir comment à chaque fois je suis restée debout, comment j’avais la liberté et le pouvoir de dire non.
J’ai fait pas mal de mise en avant des femmes. Par exemple, pendant 20 ans j’ai été la correspondante permanente du Magazine Amina en Belgique. J’ai interviewé tous les mois une femme. Et à l’époque, il n’y avait pas de magazine qui mettait en avant les femmes de la diaspora. J’ai été précurseur en ce moment-là. Je suis contente d’avoir planté des graines. J’avais envie aussi, dans un monde où tout est éphémère, ou tout va vite, on oublie, les traces s’en vont… J’avais envie de laisser un témoignage, pas seulement pour les générations futures, mais également pour les jeunes d’aujourd’hui. Ils ont besoin de modèles, d’inspiration. J’ai été étonnée de voir tellement de messages de jeunes filles qui m’ont dit combien elles voulaient être à la barre de leur vie elles aussi.
Tes convictions t’ont toujours mené aux postes que tu as occupés
Pour moi, la vie est comme un puzzle, un champ qu’on laboure et on plante ça et là des actions et tout à coup ça prend forme. J’ai l’impression que depuis toute petite au Mali, j’ai toujours été une petite fille au regard très acéré, très critique. Avec beaucoup de recul, et je comprenais bien qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond. Ne serait-ce que par rapport à la condition des femmes. Je comprenais donc qu’il y avait un autre monde qui était possible. J’ai eu la chance que mon père avait une très belle bibliothèque où je pouvais lire et m’évader.
Un livre qui m’a notamment marqué est « La mère » de Pearl Buck qui relate l’histoire d’une mère chinoise très émouvante. J’ai pensé, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, les femmes sont confrontées aux mêmes problèmes, aux mêmes difficultés, aux mêmes discriminations. Au fin fond de mon quartier, j’ai compris qu’il y avait une vision universelle de la cause des femmes.
Ton premier livre parle déjà des femmes
J’ai écrit mon premier roman à l’université « Une saison africaine » qui raconte l’histoire d’une femme malienne fiancée à un homme qui va poursuivre ses études en France et qui va tomber amoureux d’une française. À ce moment-là il apprend que son père a pris une épouse pour lui au village. C’est aussi ce regard croisé entre traditions et modernité mais aussi l’aspiration à la démocratie, la liberté. Ce roman montre aussi combien l’Afrique est portée par les pieds des femmes. Combien elles se battent pour se libérer du joug des traditions et comment ce sont elles également qui vont changer les choses. Grâce à l’alphabétisation, cette jeune femme va arriver à renverser la donne et à prendre son destin en main.
Ce roman est finalement sorti au moment où j’ai rencontré « Ni Pute Ni Soumise » et les combats se mêlaient : la polygamie, les mariages forcés, l’excision, la répudiation, bref toute la condition des femmes. J’ai toujours porté la question des femmes, à travers les colloques, les conférences etc. Tout ce que j’ai fait est à travers le prisme des femmes. Pour moi le féminisme est un humanisme. Cela veut dire qu’on ne peut pas accepter qu’une partie de l’humanité soit oppressée, opprimée… chacun a le droit de s’autodéterminer. Mon combat est celui des droits humains, pour la dignité, l’égalité et le respect.
Tu as fait le ménage plus jeune pour payer tes études
C’est une réalité que beaucoup de personnes ont vécu en terre d’accueil. C’est vrai que c’était doublement difficile parce qu’il y avait le froid, la faim, la solitude. J’ai eu la chance de faire le ménage dans des sociétés durant les vacances. C’était difficile car déshumanisant. Mais la chance que j’ai eue c’était de rencontrer des familles belges avec qui j’ai eu un parcours extraordinaire. Elles m’ont accueilli comme leur fille. Elles m’ont soutenu, m’ont aidé. J’adorais les vendredis parce que quand j’avais mangé chez les familles, c’était jour du poisson et je me régalais. Je mangeais à ma faim. Ça m’a marqué cette époque-là.
Quand j’ai quitté le parlement, j’ai croisé la femme de ménage et je me suis dit je n’ai pas assez regardé cette femme. Je ne lui ai pas assez parlé, je m’en suis voulue. J’étais gênée de ma position de parlementaire et quand je la croisais, j’avais beaucoup de respect et de distance. En gros, je ne savais pas trop comment me comporter. Et là, je me suis rendue compte que je n’avais pas assez regardé, pas assez vu cette femme qui a fait mon bureau tous les jours pendant dix ans. Je n’ai pas osé aller vers elle et cela m’a touché. Par contre quand j’ai eu une dame qui vient chez moi, on mange ensemble, on boit un café ensemble. Je suis aux petits soins pour elle comme quelqu’un de ma famille. C’est grâce à ces femmes, celles qui s’occupent de nos enfants, de nos maisons, que nous pouvons aller à l’extérieur et travailler tranquillement. C’est important de le souligner. Merci à ces femmes extraordinaires.
« La condition des femmes est un incessant aller-retour entre avancé et régressions », qu’entends-tu par-là ?
Lors d’une manifestation du droit à l’avortement, il y avait une dame très âgée qui tenait une pancarte « Je n’aurais jamais cru que je recommencerai ce combat 40 ans après». C’est pour dire qu’il faut être très vigilant, parce que par définition, les droits ne sont jamais acquis, ils sont là mais menacés. Il y a toute une génération qui croit que tout cela a été acquis. Mais il faut se rendre que certains sont acquis et menacés, d’autres sont à acquérir. Donc restons vigilants en permanence.
Est-ce plus pour les femmes que pour les hommes ?
Je pars du principe que la femme est le baromètre de la société. Quand les droits des femmes ne vont pas bien, c’est toute la société qui ne va bien. Un proverbe africain dit « quand la case du voisin brule, aide-le à l’éteindre, sinon le feu va atteindre ta maison. » Les droits des femmes sont indissociables d’une démocratie et d’une société qui avance. Tant que les droits des femmes seront grignotés, les autres droits le seront aussi, même si nous sommes dans une société patriarcale, et que les droits des femmes sont les plus fragiles, et le plus souvent remis en question.
Tu relies sexe et pouvoir, tu dis que le pouvoir a un sexe pourquoi ?
Longtemps, le pouvoir a été attribué au sexe masculin. Quand je dis que le pouvoir a un sexe, ça veut dire qu’il n’est pas que relié au sexe masculin, au genre. Le pouvoir est un enjeu très important pour les femmes car il faut lutter contre ce pouvoir patriarcal, cette oppression qui dure depuis des siècles ; que l’on retrouve partout à des degrés divers que l’on soit au nord ou au sud, à travers les textes de lois, les traditions, les us, les coutumes, l’éducation, les publicités, le droit des femmes à ne pas disposer de leur corps, le non accès à l’éducation, à la formation, à la profession, aux droits politiques etc.
Et le pouvoir que les femmes doivent avoir sur elles-mêmes pour prendre le pouvoir sur leur vie, prendre confiance en elles-mêmes ; se déterminer et résister. Je suis convaincue qu’on vit dans un monde extraordinaire et le 21ème siècle sera féminin. Il sera féminin, mais pas dans un clivage ou en opposition j’espère vraiment dans une volonté de convergence. On ne peut plus ne plus tenir compte de nos voix aujourd’hui. Il y a une condition c’est que les femmes cultivent la sororité. Et que notre division s’arrête car c’est notre plus grande faiblesse.
Parlons de féminisme, que dire de ces femmes qui se disent pas féministes ?
Je pense qu’elles ont une image erronée du féminisme. Il y aussi une incompréhension des choses. Par exemple, il y a des gens qui n’aiment pas être dans des cases. Après la sortie de mon livre « la voix d’une rebelle » beaucoup de femmes m’ont dit eh bien maintenant je sens que je suis une féministe. Je ne comprenais pas ce que cela signifiait. Ton féministe à toi est un combat pour. Elles le sont à leur manière car le combat féministe profite à toutes ; donc ce combat-là est aussi le tien.
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